11/07/2000 : Discours de M. Laurent FABIUS, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie Conférence Paris Europlace

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Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Dès sa création, Paris Europlace a su s'imposer, non seulement comme un acteur de la valorisation et du renforcement de la place financière de Paris, mais aussi comme un partenaire privilégié. La détermination de ses fondateurs, l'esprit positif des quelque 160 établissements qui la composent, la qualité de ses travaux et de ses propositions, expliquent que en France comme à l'étranger son jugement soit écouté, et son action respectée. C'est pourquoi je suis particulièrement heureux de me trouver parmi vous aujourd'hui.
Il n'y a pas de marchés financiers performants sans économie qui le soit aussi, et inversement pas d'économie prospère sans places financières solides. Capacité d'épargne, possibilité de lever des capitaux, dynamisme d'un pays, voilà les fondamentaux sur lesquels se construit leur succès. A deux conditions au moins. L'une, c'est que les pouvoirs publics suscitent l'environnement favorable sans lequel la croissance et la confiance font défaut : c'est le travail de long terme que nous avons engagé depuis trois ans à travers trois priorités, le retour vers le plein emploi, la baisse des impôts, la réduction du déficit et de la dette. L'autre condition concerne la transparence, la sécurité et la protection des transactions, des épargnants et des marchés, la formation des acteurs, la modernisation et l'adaptation des outils mis à leur disposition, nécessités qui pour vous sont devenues des lois.

Mesdames et Messieurs, l'excellente séquence économique, industrielle et financière qui fait aujourd'hui de la France l'une des économies les plus performantes, n'est pas un hasard. Dans l'Europe entière, les exportations se redressent, la demande intérieure se raffermit, les carnets de commandes des entreprises sont en général remplis. Depuis deux ans, avec une progression de l'ordre de 3,5% cette année et sans doute de 3% ou plus en 2001, l'activité demeure sensiblement plus forte en France que dans le reste de la zone euro. Nous sortons de la culture de crise, qui nous avait étouffés au long des années grises. Pour la France, les bonnes nouvelles se confirment, notamment en ce qui concerne l'investissement, traduisant cette " croissance réformatrice " qui est notre ligne directrice. Rarement les indicateurs de " croissance " auront aussi bien mérité leur nom. Enfin, et c'est là le plus important -car économie, psychologie et sociologie sont liées-, en trois années, un million d'emplois ont été créés, le mur des deux millions de chômeurs ne tardera pas à être franchi, à la baisse.

Tout cela est le résultat d'un travail commun des Français, des acteurs économiques nationaux et internationaux, probablement aussi un peu des pouvoirs publics. Bien accompagnée, la croissance s'amplifie. Pour autant, il serait absurde de nier les difficultés, les réformes qui sont encore à accomplir. Pour le ministère que je dirige, qui doit être celui du développement économique et de l'innovation technologique, pour la présidence de l'Union européenne que nous allons assurer pendant six mois, pour cette fin de législature qui nous conduira en 2002, la stratégie doit être claire.

Stratégie européenne d'abord afin de faire en sorte que nos entreprises tirent les dividendes de la monnaie unique. En Europe, au moment où il y a désormais autant d'obligations libellées en euro qu'en dollar, alors même qu'on oublie parfois ce que seraient, sans l'euro, les ajustements brutaux entre Etats européens, une réalité s'impose : le grand marché de l'euro sera au cœur des stratégies concurrentielles et il attire déjà jusqu'aux bourses extra européennes. Il nous faut absolument en tirer parti. Aux gouvernements de l'Euro-groupe de renforcer la coordination de leurs politiques et de donner davantage de visibilité et d'unité à leur action. Aux Etats d'harmoniser le fonctionnement des marchés financiers, de lutter contre la concurrence fiscale déloyale qui pénalise la croissance, de traquer l'argent sale, d'encourager les partenariats entre entreprises européennes afin de donner naissance, sur notre continent, à des numéros uns mondiaux. C'est ce que nous sommes décidés à susciter.

Stratégie industrielle également pour faire en sorte, en particulier, que l'impact positif des nouvelles technologies de l'information et des communications se diffuse, en attirant de nouveaux investisseurs sur le créneau du capital-risque, en développant systématiquement les équipements en milieu scolaire, en favorisant partout les nouveaux usages de l'internet jusqu'à faire disparaître la distinction d'ailleurs souvent artificielle entre nouvelle et ancienne économie.

Stratégie de finances publiques enfin pour alléger la pression fiscale et poursuivre l'assainissement de nos comptes publics. La baisse du déficit va continuer, la progression de la dette publique a été interrompue, une maîtrise des dépenses et le respect d'une norme de progression sur plusieurs années ont été définis. J'insiste sur ce point car il n'y a pas de baisse durable des impôts et de la dette (qui est un autre nom pour les impôts de demain) sans cette maîtrise des dépenses publiques tout à fait cruciale quoique parfois mal comprise ou mal admise. Ce n'est pas seulement une question de bonne gestion, c'est une condition de la croissance future. Une grande part des baisses d'impôts et des charges sociales en 2000 correspond à la volonté d'alléger le coût du travail sur les bas salaires et de développer l'emploi, afin de faire disparaître les trappes à inactivité. Ce processus se poursuivra. Nous pourrons passer ainsi durablement, je l'espère, de la " stagflation " (stagnation + inflation) des années de crise à la " stabcroissance " (stabilité des prix + croissance) des années 2000.

Ce renouveau français, la place de Paris l'illustre. Elle a enregistré récemment un développement spectaculaire du courtage en ligne, qui élargit la clientèle du marché des actions, en particulier chez les jeunes. Les start-up se multiplient, pour lesquelles Paris doit permettre les financements nécessaires. Elle connaît de fortes perspectives de développement alors que l'avancée vers la constitution d'un marché financier européen s'accélère et que le paysage boursier mondial se transforme. Les bourses ne sont pas des institutions immuables, mais des entreprises prestataires de services informatiques soumises à une concurrence vive. Dans l'ère de l'immatériel, les bourses traditionnelles fusionnent, les marchés électroniques se développent, les OPA transfrontalières se multiplient. La création d'Euronext et plus récemment le projet d'iX en sont une étape. Euronext est une structure ouverte à de nouveaux partenariats. Le projet du " global equity market ", alliance de dix bourses représentant 60 % de la capitalisation mondiale, en est une illustration.

Pour accompagner ces évolutions, nous avons besoin d'une action d'ensemble, concrète et volontariste, afin de développer encore davantage la place financière de Paris. Il nous faut agir tout à la fois sur la régulation financière, sur les instruments financiers et sur les structures financières. Je souhaite vous indiquer dès à présent quelques points forts de cette action d'ensemble.

D'abord, une action sur la régulation financière.
Au niveau européen, nous savons que les évolutions des marchés financiers, brutales, peuvent être déstabilisatrices et que les règles juridiques du jeu boursier doivent être harmonisées. Je viens de proposer au nom de la France à nos partenaires, en liaison avec la Commission, la constitution d'un " groupe de sages " chargé de dessiner une harmonisation des pratiques des régulateurs de marché ainsi que les moyens concrets de les améliorer et la diffusion des meilleures pratiques. Nous examinerons cette proposition dès lundi prochain au Conseil Ecofin de l'Union.
Au niveau national, il est clair que notre propre système de régulation doit s'adapter à la donne nouvelle. Le projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques comporte déjà plusieurs dispositions concernant les autorités de contrôle financier et visant à en faire des outils plus modernes, plus sûrs et plus transparents dans leur fonctionnement et dans la surveillance des offres publiques d'achat et d'échange. Il sera nécessaire d'aller au-delà.
En ce qui concerne les autorités prudentielles, des coopérations renforcées permettant un rapprochement entre la Commission bancaire et la Commission de contrôle des assurances me paraît souhaitable. L'apparition de conglomérats financiers et l'atténuation des distinctions entre certaines des activités du secteur des banques et des assurances appellent en effet une approche plus globale. Les qualités des personnels des deux organismes sont reconnues, mais leurs parcours restent parfois trop spécialisés. Il faut favoriser les échanges de compétences, les synergies de moyens et la diversité des expertises. Une concertation doit être engagée avec tous les acteurs concernés, en expertisant les différentes options, de la coopération aux évolutions plus institutionnelles.
S'agissant des autorités de marché, l'accroissement des opérations boursières et le développement d'Internet rendent nécessaire une augmentation des moyens de la COB. Son collège souhaite ce renforcement. Il doit l'obtenir. Un décret interviendra très prochainement pour permettre à la COB de prendre des sanctions dans des conditions conformes à la jurisprudence récente. Au delà des améliorations matérielles et juridiques, les réflexions engagées par le comité des sages européen et le mouvement de concentration des bourses devraient avoir des implications sur l'organisation, la nécessaire association des professionnels et le fonctionnement même de nos autorités de marché, qu'il s'agisse de la COB qui a connu récemment des turbulences ou du Conseil des marchés financiers. L'objectif est de développer, d'une part, une approche nationale et trans-sectorielle du contrôle financier qui restera décentralisé, gagnera en efficacité, bénéficiera des compétences maintenues de la Banque de France en matière prudentielle, d'autre part d'encourager une approche trans-frontière des autorités de marché en développant dans leur pratique une logique européenne.
Au delà de la qualité des contrôles, nous savons que la confiance dans une place financière est aussi fondée sur ses dispositifs de garantie, au profit de ses clients. Il apparaît nécessaire de compléter notre système qui comporte aujourd'hui des fonds de garantie des dépôts et des titres, et un fonds en matière d'assurance vie, par un fonds en matière d'assurance dommages.

Nous devons mener, ensuite, une action sur les instruments financiers.
Il s'agit de renforcer l'orientation en faveur du risque. Cela passe notamment par une réforme de l'épargne salariale, laquelle permettra à la fois de procurer aux salariés de nouveaux revenus et de favoriser l'investissement long en actions, donc le financement des entreprises. Après soigneuse concertation, un projet en ce sens doit être examiné début août au Conseil des Ministres et discuté par le Parlement dès l'automne.
Nous devons aussi agir pour une gestion sans cesse plus économe de la dette publique, donc au moindre coût pour le contribuable. Dans cet esprit, France Trésor deviendra tout prochainement une Agence de la dette rattachée directement au directeur du Trésor. Elle disposera de moyens nouveaux et recrutera des professionnels de marché, pour une gestion encore plus active de notre dette. Cette structure disposera de la réactivité et de la visibilité nécessaire à sa mission. Cette initiative devrait comporter des effets positifs sur le marché obligataire et des dérivés.
J'ai demandé par ailleurs à France Trésor de travailler à la mise en place rapide d'un portefeuille de swaps de taux et de procéder à un allégement de l'encours de la dette d'ici la fin de cette année. Ceci sera réalisé sous la forme d'opérations de rachats d'un montant de 10 milliards d'euros. Sera lancée très rapidement une consultation auprès des SVT sur la mise en œuvre de ces rachats. Ils pourront prendre la forme non seulement d'opérations de gré à gré, mais aussi d'adjudications à l'envers. Je souligne que ces rachats sont la conséquence de la bonne exécution budgétaire des exercices 1999 et 2000. Ils reflètent aussi le souci d'accroître le montant d'émissions de BTF au cours des prochains mois pour répondre à une demande toujours plus forte sur ce produit, où notre dette bénéficie du statut de benchmark de la zone euro.

Une action sur les structures financières, enfin, est indispensable.
Pour cela, nous avons besoin d'un ministère des finances efficace. C'est dans cet esprit que j'ai élaboré dans le dialogue la réforme-modernisation du ministère. Vous êtes les interlocuteurs naturels du Ministère, vous devez trouver en face de vous une administration disponible, innovante, moderne, centrée sur les tâches qui sont vraiment les siennes. C'est pourquoi j'ai par exemple décidé d'interrompre les activités de fonds particuliers jusqu'ici assurées par la comptabilité publique.
Il s'agit aussi de moderniser le pôle financier public. En complément de la réforme des Caisses d'Epargne en 1999, un pas a été franchi autour de la Caisse des Dépôts et Consignations, avec la création de CDC Finances. Il sera complété par la cession prochaine de la banque Hervet, sur la base d'un projet industriel au bénéfice du développement de cet établissement et de ses salariés. Une fois cette opération réalisée, les contours du pôle financier public seront clairement arrêtés.
L'Etat demeure, comme il est légitime, une pièce importante de notre système financier. En ayant à l'esprit que les réformes menées depuis 1997, celles que je vous propose aujourd'hui et les étapes que nous aurons encore à franchir ne sont pas dictées par des considérations de court terme mais par le souci de renforcer notre système financier pour le mettre au service de la croissance et de l'emploi.
Toutes ces mesures seront réalisées dans des délais proches. Elles sont inspirées par une idée : encourager le développement des activités financières en France et en Europe, condition indispensable à une croissance solide et durable, au financement de nos entreprises, notamment les petites et les moyennes, dans un contexte international de coopération et de compétition. Une tension existe entre des places désormais soumises à un double mouvement de délocalisation technologiquement possible et de concentration souhaitée par les industries financières. La France est une destination que plébiscitent les investisseurs. Je m'en réjouis, mais je sais qu'il faut rester vigilant, savoir modifier ce qui doit l'être, et amplifier les améliorations. Pour y parvenir, notre action doit être épaulée par tous les intervenants, au premier chef les banques et les entreprises d'investissement, c'est le sens du plan stratégique que prépare Paris Europlace. Ensemble, nous devons faire de la zone euro la première destination des investissements financiers. Pour faire notamment gagner l'économie française et avec elle la place de Paris.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, au-delà de ces aspects que j'ai souhaité synthétiser pour vous, nous savons, les uns et les autres, qu'une place financière, c'est d'abord une communauté d'activités et de métiers, l'alliance de femmes et d'hommes au service non seulement d'un marché, d'une part significative dans la valeur ajoutée, mais aussi du rayonnement d'une économie et de la prospérité d'un pays en fonction d'un climat, climat dont font partie les règles fiscales pour ceux qui travaillent en France sur les marchés financiers. Le climat en France doit être clairement favorable à l'entreprise et à son financement.

On me demande parfois si je suis un ministre social ou libéral. Je n'aime guère les étiquettes ni les personnalisations. Je suis au sein d'une équipe un responsable qui entend résoudre les problèmes posés et anticiper ceux de demain. Dirigiste, certainement pas. Attaché à la liberté économique et au progrès social, oui. Et soucieux de cohérence. Au nom de cette cohérence, on ne peut pas d'un côté célébrer les créateurs, les entrepreneurs, les entreprises, et de l'autre maintenir ce qui les entrave ; d'un côté, plaider pour l'acte d'entreprendre, de l'autre ne pas tout mettre en œuvre pour en favoriser le financement. Vous soutenez la croissance, condition de la solidarité. Vous financez l'investissement et la consommation. Vous permettez l'innovation, travaillant ainsi de multiples façons à cette priorité qu'est l'emploi. Vous devez donc être écoutés et encouragés. Merci.